Rencontre avec Justin Benson et Aaron Moorhead – The Endless [ FEFFS 2017 ]

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Parfois il y’a des rencontres qu’on oublie pas. Pour cette dixième édition du Festival Européen du Film Fantastique de Strasbourg, les deux réalisateurs Justin Benson et Aaron Moorhead sont venus présenter leur troisième film The Endless, film étrange et intriguant de deux frères et d’une secte, sur fond de voyages temporels.  Une chance donc, puisque le film est apparu comme un de mes coups de cœur de cette édition, et l’occasion alors de discuter  de la création peu conventionnelle de leur long-métrage, et qu’est ce que ça signifie aujourd’hui, faire peur.

Le film ne sera pas disponible en France, et c’est bien dommage.

De’autre côté de l’image : Qu’est ce qui vous a donné envie de faire des films ? Avez-vous des souvenirs d’un film qui vous a poussé à passer derrière la caméra, ou est-ce, au contraire, plutôt une coïncidence ?

Aaron Moorhead : J’ai commencé à faire des films quand j’avais 12 ans, je crois. J’ai commencé avec de l’animation en stop-motion, avec des figurines Star-Wars par exemple. J’aimais regarder des films comme tout le monde. Et ce n’est pas le fait même de regarder des films qui m’a motivé. J’aime en fait la création en elle-même, de la même manière que d’autres ont pour passion de faire des mots-croisés, plus en fait que simplement regarder un grand film Hollywoodien et me dire «  Ok, c’est ce que je veux faire. ».

Justin Benson : Quand j’étais petit, ma relation avec le cinéma était plutôt conventionnelle. Ce qui était peut-être un peu exceptionnel, c’était que mes parents m’emmenaient très souvent au cinéma, presque une fois par semaine. Leur soirée en famille se résumait à m’emmener voir des films, et ce pendant toute mon enfance. Je n’ai jamais vu cela comme quelque chose que je pourrai faire dans ma vie. En fait, je me souviens aller au cinéma avec mes parents et discuter de ce qui pourrait être une bonne carrière pour moi, eux me disait «  tu sais, si tu deviens médecin, tu pourrais avoir ces avantages … » Et puis, quand j’ai eu 18 ans, je sortais avec une fille qui m’a montré Pulp Fiction, Massacre à la Tronçonneuse et Chasing Amy. Et je me souviens m’être dit qu’il y’avait quelque chose de magique dans ces trois films. Et je sais désormais comment créer cette magie. C’était la magie du langage, la manière dont les personnes parlent. J’avais plein d’idées et je me disais «  moi aussi je pense que je peux faire parler les gens ainsi ». De même, quand j’étais petit et que j’ai vu Jurassic Park, je ne me suis jamais dit «  je peux faire ce dinosaure ». Maintenant, avec le temps, j’ai appris le côté technique de la réalisation d’un film.

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DLACDI : Vous vous définissez comme des réalisateurs DIY, do-it-yourself. Pouvez vous parler de ce que vous avez fait sur le tournage de The Endless ? Pourquoi avez vous décidé de continuer de tout faire par vous-mêmes ?

A.M : Sur The Endless, nous étions producteurs, réalisateurs, acteurs, éditeurs, photographes, scénariste et nous avons travaillé quelques effets spéciaux. La raison principale qui nous a poussé à tout faire sur The Endless, c’est que nous voulions faire le film que nous voulions nous, et que personne ne pourrait nous empêcher de faire. Rien n’aurait pu nous arrêter, et c’est pourquoi nous portions autant de casquettes. Nous nous sommes aussi rendu compte que nous avions du d’abord les endosser parce qu’il le fallait. Nous étions des réalisateurs indépendants, et c’était d’abord nécessaire de passer par là. Tu dois remonter tes manches et arrêter de faire semblant d’être seulement le réalisateur, car tu dois t’occuper de tout maintenant. Mais maintenant, on est dans l’optique de faire le plus possible , et c’est devenu notre façon de faire des films. Personne ne nous offre un travail déjà terminé. Nous devons regarder le produit brut et l’éditer. Nous nous sommes rendus compte que c’était ce qu’on voulait. On a commencé comme DIY, avec l’espoir un peu vague qu’un jour nous n’aurions plus à l’être, et maintenant on espère que personne ne nous l’enlèvera.

J.B : En fait, si on avait eu pour ambition au début d’écrire un script pour le vendre à Hollywood,il aurait fallu aller à toutes ces fêtes, rencontrer les bonnes personnes qui nous auraient immédiatement financés pour tourner un film un jour, je pense que cette façon de faire est un peu plus incertaine que si l’on fait tout nous-mêmes. Si t’enfiles la casquette de réalisateur pour la première fois et que tu n’es pas prêt à tout faire par toi-même, que tu cherches avant tout à avoir un plus gros budget, alors tu peux être sûr que le résultat sera différent de ce que tu avais imaginé. Ce ne sera sûrement pas le film que tu espérais faire, tu finiras peut-être par faire un film de zombies alors même que tu n’en avais rien à faire, tout cela parce qu’il avait un potentiel commercial.

A.M : J’espère que quand on aura des budgets plus importants, on continuera notre petite industrie bizarre où les gens préfèrent que l’on fasse tout par nous même. C’est inattendu, on s’attendait à ce que quelqu’un nous dise qu’ils allaient confier ça à des experts. Mais maintenant, nous sommes les experts. C’est épuisant de tout faire, mais c’est pourquoi nous sommes deux.

DLACDI : A quel genre appartient The Endless ? Est-ce que c’est important pour vous de classifier des films dans des catégories, dans des genres ?

J.B : Quand on fait un film, au moment d’écrire le script, on ne se demande jamais à quel genre il appartient, parce qu’on en a pas réellement besoin. Si un film possède un élément lié au voyage dans le temps, ou un élément surnaturel, il sera commercialisé comme de la science-fiction horrifique. Au fond ce qui définit vraiment le genre d’un film, c’est ce qu’en fait le département marketing. Le genre est une marque à laquelle les gens s’identifient. Et les gens s’identifient à l’horreur, parce que c’est marrant. Il crée une communauté, ce qui est super, mais ça n’a pas réellement d’importance dans la création du film.

A.M Concernant The Endless, certains l’ont qualifié d’horreur cosmique, d’autres ont dit que c’était de la science-fiction. Je pense que les gens ont envie d’entendre ce qui correspond au mieux à leur description. Mais il ne s’identifiera jamais à une seule catégorie définie.

J.B Il y a très peu de réalisateurs qui parviennent à se tenir à un genre unique, comme le film d’horreur par exemple. Souvent, le résultat en est très pauvre. C’est peut-être la pire chose à faire pour un film. Certains s’en sortent vraiment bien, comme James Wan, parce qu’il comprend parfaitement les mécanismes de l’horreur. Et les gens adorent ses films, parce qu’ils sont impressionnants.

A.M : Je ne sais plus qui a dit que le pire crime qu’un réalisateur puisse commettre est d’être ennuyeux. Quand quelqu’un essaye de mettre des éléments horrifiques dans son film avec la ferme intention d’être effrayant, cela devient plus attendu, et donc moins effrayant. Pourtant le seul film qui fonctionne sur moi, sans comprendre pourquoi, c’est Ça. Il comporte une tonne d’éléments horrifiques plutôt conventionnels, pour être honnête. Les réactions du public ont pourtant été très violentes , car tout le monde lui reprochait de ne pas être effrayant du tout.

J.B : On vit dans une époque où tout le monde peut donner son avis sur les réseaux sociaux, et cela a beaucoup de points positifs. Mais pour The Witch, par exemple, il y’a eu beaucoup de réactions négatives. Les gens disaient que le film n’était même pas effrayant, mais si The Witch n’est pas effrayant, alors je me demande bien ce qui est effrayant pour eux ! Et je pense que beaucoup l’ont regardé, et n’ont pas su accepter le rythme du film, la peur viscérale qui surgit du film. Je crois que The Witch est un exemple de tout cela : peu importe ce que l’on fait, ce ne sera jamais effrayant.

A.M En revanche, la seule chose sur laquelle tout le monde s’accorde, c’est que personne ne dira jamais que ce qui fait qu’un film d’horreur est réussi ce sont ses jumpscares. Dans nos trois films, il n’y a que trois jumpscares.

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DLACDI : Ce qui m’a interpellée dans The Endless, c’est peut-être sa dimension métafictionnelle. Par exemple, le film joue de références méta avec Resolution ( leur  premier long-métrage )  car on retrouve certains personnages ainsi que les mêmes lieux, et cela fait appel à l’imagination du spectateur. Et, c’est ma théorie et je vais sûrement trop loin, mais cette chose invisible qui rôde mais que l’on ne voit jamais, je l’associe avec l’expérience même du spectateur. On possède le même point de vue, on regarde les personnages sans pourtant jamais êtres vu. A un moment même, les personnages reçoivent des photos d’eux-même du ciel, d’un plan qui vient juste de se passer. Alors ma question est la suivante : en quoi la relation avec le spectateur et vous-mêmes en tant que réalisateur est importante ?

A.M : Je pense que dans Resolution, l’interaction du public avec l’image est très importante, et la révélation finale joue de cela. The Endless exploite cette même relation. Cette idée de voyeurisme est vraiment quelque chose que nous voulions exploiter. Mais le fait que nous n’ayons ni le budget ni l’envie de de montrer un monstre gigantesque ou peu importe ce que c’est, la «  chose » du film, repose aussi sur l’idée que l’esprit invente ce qu’il ne voit pas. Alors oui, ce lien entre les spectateurs et ce que nous leur présentons est la chose la plus précieuse au monde. Et je me demande si des spectateurs avec une autre forme d’imagination, ou avec moins d’imagination apprécieraient ou non le film. Un ami nous a dit qu’il y’a deux types de spectateurs : ceux qui ne veulent pas avoir toutes les clés et qui veulent se défier, et une autre partie, plus vaste, qui préfère tout avoir. Personne ne veut être au milieu, parce que le film en serait médiocre. On ne peut jamais satisfaire les deux catégories. Peut-être le seul capable à le faire à chaque fois, c’est Christopher Nolan. Il est capable de titiller l’esprit tout en explicitant beaucoup d’éléments.

DLACDI : Dans The Endless, vous utilisez beaucoup de vieille technologie : on trouve des cassettes, des vinyles, des téléphones à antennes. Pourquoi cette obsession avec ces vieux appareils ? Est-ce une façon de jouer avec le temps ?

J.B Il y’a peu de choses qu’un producteur designer peut utiliser dans un film pour créer une atmosphère inconfortable. C’est quelque chose d’aussi simple. Les vieux appareils, comme les vieilles photos, les vieilles cassettes vidéos ont quelque chose de bizarre. Mais l’autre raison est que, lorsque l’on montre une projection d’un clip en 8mm, et on l’a utilisé dans Resolution, elle possède l’aura d’un fantôme. Si l’on définit un fantôme comme une projection d’un autre moment dans le temps conscient de lui-même, comme une empreinte, c’est la même chose, comme la lumière qui traverse un morceau de pellicule. Il y’a quelque chose d’inquiétant. Ce n’est pas quelque chose dit explicitement dans The Endless ou Resolution. Le côté méta des films jouent aussi sur cette ambiance. Dans les deux films, il y’a ce personnage témoin de ce qu’il se passe et qui raconte ce qui se passe aux autres. Les spectateurs et les personnages se retrouvent autour de ces enregistrements vidéos et audios, comme des souvenirs qu’ils ont sur leur téléphone. Un film qui possède beaucoup de médiums technologiques participe à cette idée de souvenirs.

A.M The Endless parle de la répétition du temps, et nos souvenirs ont beaucoup à voir avec tout cela. Les supports vidéos et audios sont au centre du film et font sens. Il y’a une connexion émotionnelle à la peur.

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DLACDI : Enfin pour finir, que diriez vous à une personne très jeune, qui rêve de réaliser des films, avec beaucoup d’ambition mais avec très peu de moyens ?

J.B Ca va paraître cliché. Je vais me prendre moi comme exemple. Ce que je dirais à n’importe quel réalisateur, ou même seulement à un.e jeune plein d’ambition, c’est que je n’ai pas de talent particulier, mais je suis prêt à bosser dur pendant des heures et des heures pour accomplir mon projet. Et je pense, que si un.e jeune a de l’ambition dans quelque chose, il faut juste travailler très dur. J’en suis un exemple, et c’est très optimiste. Si tu veux écrire des films, écris dix heures par jour. Tu deviendras sûrement meilleur.e, et tu y parviendras très probablement. Nous n’avons jamais eu de vraies opportunités. Juste beaucoup de chance pour notre premier film, mais ce genre de choses peut arriver à n’importe qui.

A.M : Il y’a cette idée, surtout pour les jeunes et ceux qui débutent, que lorsque l’on se lance dans un domaine intimidant, le premier résultat doit être soit absolument génial, soit atrocement mauvais. Mais la vérité, c’est que presque personne n’est un génie, mais presque tout le monde pense en être un. Alors fais ton premier film, de la manière dont tu le veux toi. Littéralement, fais le, vois à quoi il ressemble, à quel point il est mauvais, à quel point il est bon. Et ne te plains pas du manque d’argent, mais plains toi de ne pas avoir travaillé suffisamment. Et ensuite, recommence. Et à la fin, tu feras quelque chose de bien. C’est un fait. Je trouve ça toujours étrange de voir des réalisateurs qui présentent leur premier film sans jamais avoir fait de court-métrage auparavant, c’est à devenir fou. Et souvent, le résultat n’est pas franchement bon.La plupart des gens se focalisent davantage sur le but lui-même que sur le fait de faire vraiment des films. Et très peu admettent être ce genre de personne. La seule manière de voir que l’on a cette fibre artistique réside dans le fait de faire et de faire ce que l’on veut. Rien n’est jamais trop petit. On parlait de film de science-fiction, en fait The Endless ne nécessité que très peu de budget. La seule raison pour laquelle il a l’air d’avoir un budget plus conséquent réside dans ses effets spéciaux. Tout cela parce que quand j’étais en sixième, j’ai commencé à apprendre à utiliser des effets spéciaux. Je vais vous donner un conseil qui prend sens quand on fait de plus en plus de films, et qu’on a entendu des dizaines de fois. Je ne pensais pas avoir trouvé ma voie jusqu’à ce que je la trouve. Je pensais déjà le savoir, savoir déjà ce que j’aimais. J’aimais juste les films un peu stupides, et je ne savais même pas que je ne faisais que les imiter. C’est une espèce de statue de marbre, que l’on appelle sa voie, et que l’on doit façonner afin de comprendre pourquoi on aime les films et surtout les faire. La plupart des gens ne savent même pas qu’ils imitent d’autres gens. Tu ne t’en sortiras jamais si tu fais les films que tout le monde peut faire.

J.B Ce que tu dis à propos de la voie, ça peut être un peu confus pour de très jeunes réalisateurs. Ce n’est pas quelque chose que tu reçois à force de faire les choses. On peut être fan de quelque chose, comme être fan de Tarantino, connaître toutes ses influences par cœur et arriver à la conclusion que réaliser un film signifie imiter. Ce n’est pas forcément vrai. On ne peut pas s’améliorer en étant un peu plus fan de quelque chose. On s’améliore en faisant les choses.

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