Crisis Jung : humour, violence et introspection

par Nathan

10 Gros coups de poing dans ma gueule

Crisis Jung est une série d’animation française créée par Baptiste Gaubert et Jérémie Périn, réalisée par Jérémie Hoarau et Baptiste Gaubert et produite par Bobbypills et Blackpills.

C’est l’histoire de Jung qui se voit contraint de traverser l’Apocalypse pour retrouver et tuer Petit Jésus, le monstre qui a tué sa femme. Le tout se présente dans un Formula Show composé de 10 épisodes d’environ 6 minutes.

La création de Crisis Jung est fascinante. C’est en fait une simple discussion Skype qui a permis au projet de voir le jour dans sa forme basique. Projet qui a ensuite été présenté à Bobbypills et est donc, après un sérieux travail d’écriture et de structuration, devenu Crisis Jung. J’ai pu parler plus longuement de ce processus de création avec Jérémie Périn et Jérémie Hoarau par la suite et il se trouve que ce processus de création est tout à fait normal pour eux.

Je trouve, personnellement, ce message particulièrement puissant pour n’importe qui voulant se lancer dans l’écriture d’un projet ou dans une création quelle qu’elle soit. Il n’y a pas de règles à suivre, pas d’ordre à respecter. Tout ce qu’il faut c’est s’accrocher et avoir la volonté de porter le projet jusqu’au bout. Mais ce que je présente ici comme étant un délire entre potes cache en fait une œuvre à l’atmosphère trash, gore mais infiniment fun et jouissive à regarder et, tout aussi important, c’est une œuvre aux niveaux de lecture multiples.

(Je ne vais volontairement pas aller trop loin dans l’analyse ou les détails, la série n’étant pas encore sortie publiquement et diffusée seulement par le biais d’avant-première et aussi parce que le spoil ce n’est pas bien. Il y a juste un nom de perso et les étapes qui forment la formule de ce Formula Show qui pourraient être nouveau pour le lecteur n’ayant pas vu Crisis Jung mais simplement sa bande annonce.)

AU REVOIR SEBASTIEN

Je n’ai jamais été le plus gros fan de gore, surtout en ce qui concerne le live action. Voir des têtes exploser, des tripes étalées sur le sol ou des mares de sang versées après qu’un monstre quel qu’il soit se soit attaqué à une personne, ne m’a jamais vraiment procuré de plaisir ou n’a jamais vraiment réussi à m’horrifier, ma relation avec le gore résultant principalement par un simple dégout (et c’est fort dommage). Mais il arrive parfois un miracle, que des planètes s’alignent et que je sois vraiment emballé. Ce fut le cas deux fois pendant ce FEFFS 2018, la première étant Mandy de Panos Cosmatos, véritable ode à la folie de Nicolas Cage et la seconde étant, bien évidemment Crisis Jung.

Ma vision du gore se base sur le fait que celui-ci ne doit pas être gratuit, il doit avoir une raison, être gore pour être gore est un horrible gâchis selon moi et pour mettre des noms sur ce que je considère comme du mauvais gore ou plutôt du gore de mauvais goût je citerais Blood-C (« Blood C many death accelerated » sur Youtube est un pur bonheur (c’est faux)). Le gore n’apporte rien à l’œuvre dans ce cas-là, il est juste un outil de diversion ou un outil artificiel tentant de proposer une distraction quelconque. Le bon gore est celui qui construit la peur dans le cœur des personnages et du spectateur, celui qui choque. On en retrouve de nombreux exemples surtout dans le monde de la japanimation, comme Akira, Psycho-Pass ou encore le récent Devilman Crybaby. Ici le gore aura donc un impact sur le spectateur, il lui permettra de se sentir plus proche du personnage, d’être plus intimement horrifié. Cette vision du gore n’engage bien sûr que moi.

Mais là où Crisis Jung fait très fort c’est que l’œuvre se sert de l’humour pour rendre son gore pertinent et créer un décalage hilarant. Mandy suit ce même principe grâce au statut de cinglé de Nicolas Cage qui n’est plus secret pour personne. Personnellement, je trouve Crisis Jung beaucoup plus pertinent et surtout beaucoup plus drôle.

Crisis Jung n’est pas une œuvre qui cherche à masquer son côté réservé à un public avisé. On parle ici de nombreux meurtres, de sexe-tronçonneuse et de brochettes d’humains dont la cuisson est saignante. Mais la vraie maîtrise d’un humour particulier saura désamorcer ces atrocités. En effet, le sentiment de dégoût, de choc ou de peur qui est sensé naître dans le cœur du spectateur face à tant de violence, de sang, ou d’effroi est, ici, habilement remplacé par de l’humour absurde. Cela est permis par le ton léger et décalé de l’écriture créant des situations dans lesquelles Jung pourra étaler de la philosophie de comptoir sur la tendresse alors qu’il est en train de pleuvoir le sang de l’ennemi qu’il vient de massacrer. Cet absurde vient apporter un peu de bonheur dans un monde où il est censé être absent. Le spectateur pourra donc voir l’Apocalypse sous un jour un peu plus heureux et rire des situations comme ces personnages et ne finira pas déprimé par la dure réalité qui est dépeinte devant ses yeux. Comme quoi, on peut même arriver à rire de l’Apocalypse.

Mais l’humour absurde dont déborde Crisis Jung ne trouve pas seulement sa pertinence dans relation avec le gore. L’humour est présent à tous les niveaux, que ce soit dans les designs des personnages ou encore dans les relations qu’ils entretiennent entre eux. L’humour va même jusqu’à se trouver dans les noms des personnages. On parle quand même d’un monde où le boss de l’Apocalypse s’appelle Petit Jésus, ça doit bien valoir un blasphème ou deux mais cette situation m’amuse beaucoup. Il en va de même pour le nom d’un des personnages qui aide Jung, Thunder Dominique (magnifiquement prononcé avec juste ce qu’il faut d’anglais) qui est une habile référence à Mad Max qui m’a beaucoup fait rire.

Ce que je cherche à faire comprendre c’est que Crisis Jung est une œuvre aussi trash que drôle, qu’elle ne se cantonne pas à un de ses deux registres, que les deux combinés forment une alliance extrêmement drôle et que, séparément, chacun de ces deux aspects est effectué avec une maîtrise proche de l’idée que je me fais de la perfection. (Spoiler : la meilleure application de l’humour sur du gore est en lien avec le titre de cette partie.)

VIOLENCE, INTROSPECTION, PLUS DE VIOLENCE

L’autre partie importante dans laquelle réside le génie de Crisis Jung repose dans ses multiples niveaux de lecture et dans le développement du personnage de Jung.

Crisis Jung, comme dit plus haut, est un Formula Show, c’est-à-dire que les épisodes se déroulent tous de la même manière. Le héros se retrouvera donc face à un obstacle (dont les designs sont absolument géniaux) et devra le surpasser, ce qui se fera souvent par la violence.

La violence est un des points essentiels de Crisis Jung (No shit, Sherlock). La première réponse de Jung face aux problèmes qu’il rencontre est « La Technique des 10 Gros Coups De Poing », ça en dit long sur l’état mental du personnage après le meurtre de sa femme par Petit Jésus. Jung est un personnage plein de rage et il ne cessera de faire appel à celle-ci pour chaque difficulté qu’il rencontre. Même au moment où il rencontre Thunder Dominique : c’est en le frappant qu’il lui annonce qu’il est son nouveau maître.

Mais ce voyage de violence effectué sur une ligne de sang est aussi entrecoupé par d’autres moments, des moments de leçons et réalisations pour Jung mais aussi pour le spectateur. En répondant par la violence Jung se créé une sorte d’enfer personnel, il ne peut répondre autrement que par la violence. Ce qui le fera toujours tomber sur plus fort que lui, le vouant à échouer. C’est aussi une bonne leçon pour le spectateur.

C’est sous la forme d’une psychanalyse que Jung apprendra à devenir meilleur, l’obstacle qu’il croise portant souvent le nom de la chose qu’il doit apprendre. Jung et le spectateur recevant ainsi tous deux une leçon de vie (enfin pas toujours pour le spectateur, le cannibalisme c’est pas ouf comme leçon de tolérance). Des leçons de vie bien sûr singulières parce qu’on n’est pas dans un drame chiant et qu’il faut péter des gueules, casser des dents et briser des os.

Toujours est-il que malgré son air de délire jouissif décalé ultra vénère Crisis Jung est aussi une réflexion sur la violence, sur l’introspection et l’acceptation de soi. Crisis Jung va beaucoup plus loin dans ses propos et est un œuvre beaucoup plus profonde qu’elle ne laisse paraitre au premier abord mais pour ne pas spoiler  et par respect,  je vais m’arrêter là.

L’IMPORTANCE CRISIS JUNG DANS LE PAYSAGE DE L’ANIMATION

Maintenant que j’en ai terminé avec mes pensées sur Crisis Jung, il me semble judicieux d’expliquer l’importance d’une œuvre comme celle-ci dans le paysage de l’animation française.

C’est une œuvre d’une folie pure, un OVNI dans le monde de l’animation française actuelle. En fait, toutes les séries d’animations françaises proposées sur Blackpills ont ce même statut. Celui  d’œuvres folles écrites par des personnes toute aussi folles. Des œuvres au contenu mature, jouissif, trash et tellement divertissant. Je compte donc parmi ces séries d’animation des séries comme Vermin par Alexis Beaumont, Hafid F. Benamar et Balak ou encore Peepoodo & The Super Fuck Friends. Si vous avez vu ne serait-ce qu’une des deux séries que je viens de citer, vous comprendrez ce que je veux dire (ou vous comprendrez quand vous verrez).

Ce que j’ai ressenti quand j’ai vu Crisis Jung, c’est une liberté quasi-totale de création, une ode à la liberté d’expression des idées les plus folles. Et c’est dans cette liberté que se trouve l’importance de Blackpills et de Bobbypills dont le contenu ne semble avoir aucune limite et permet donc au créateur de s’exprimer librement.

Je remercie donc l’existence de Blackpills et Bobbypills et souhaite vivement que leurs avenirs soient grandioses.

Mais je dirais aussi à Jérémie Hoarau, Baptiste Gaubert, Jérémie Périn et à tous ceux qui ont travaillés sur Crisis Jung de continuer à être fous et de laisser libre cours à leur imagination géniale. L’animation française ne pourra en sortir que grandie. Merci.

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