BlackKklansman : pourquoi un cinéma politique ?

Synopsis :  En 1978, Ron Stallworth est le premier policier afro-améicain de Colorado Springs. Il s’infiltre dans la branche locale du Ku Klux Klan et parvient même à devenir président de cette organisation raciste. Pendant des mois, Stallworth se  fait passer pour un suprémaciste blanc, avec l’aide de son collège Flip Zimmermann.

 

Le festival de Cannes, ça ne récompense que de la politique, plus du cinéma. Cette phrase, qui peut autant s’appliquer à n’importe quelle cérémonie de cinéma, résonne cette année encore, à tort. Grand Prix de Cannes 2018, BlackKklansman de Spike Lee aurait été injustement récompense  : le film serait trop politique. Comme si le cinéma et la politique ne pouvait pas cohabiter. Mais surtout, comme si le cinéma n’était pas politique.

On pourrait résumer BlackKklansman à un énième film anti-Trump, anti extrême-droite, anti fascisme, anti-beaucoup de chose. Et il est vrai, le film se construit comme une satire, moquant explicitement Trump à coup de «  Make America Great Again ». D’autant que les positions politiques de Spike Lee n’ont jamais été cachées. Il n’y a qu’à voir la conférence de presse faite à Cannes dans laquelle il revient sur la montée inquiétante de l’extrême droite aux Etats-Unis. Pourtant, réduire le film à ses attaques explicites contre le gouvernement de Trump, c’est peut-être mettre de côté les enjeux politiques du film.

BlackKklansman est un film d’afro-américains, fait pas des afro-américains. Les discours des Black Panthers y sont magnifiées : c’est une invitation aux noirs à se réapproprier fièrement leur identité physique et culturelle. Et c’est en cela que le film est fort : c’est une véritable revendication d’un cinéma noir. En empruntant nombreux codes de la Blaxploitation : la présence de personnages principaux noirs, d’une soundtrack essentiellement funk mais surtout de thèmes sociaux centrée sur les populations noires, telle que les violences policière. Et pas étonnant que le film soit produit par Jordan Peele, le film entre dans ce renouveau du cinéma noir. Porté déjà par Get Out (Jordan Peele) l’année dernière, Black Panther (Ryan Coogler) ou encore Moonlight (Barry Jenkins), BlackKklansman participe à cette visibilité d’un cinéma afro-américain.

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BlackKklansman – Spike Lee ( 2018 )

Amérique De Trump : héritage raciste

Placer Amérique et Trump dans une même phrase est presque devenue un nouveau trope dans la critique cinématographique, une facilité qui ne veut au final plus rien dire. L’Amérique raciste n’est pas miraculeusement apparue avec Trump. Au contraire, BlackKklansman parle d’un héritage pourtant bien ancré dans la civilisation américaine, et qui ne s’est jamais évaporé. Terre de violence, les Etats-Unis se sont batis sur le sang, versé avant tout par des minorités raciales. Le cinéma est le reflet de ce racisme intériorisé, et c’est là ce que montre le film de Spike Lee. Celui-ci débute par les images d’Autant en Emporte le Vent. Scarlett O’Hara marche au milieu d’une route, recouverte de corps. Au loin flotte le drapeau confédéré. S’en suit alors The Birth Of A Nation. Les images sont terrifiantes : une jeune fille échappe à un homme noir, animalisé, et se jette dans le vide pour lui échapper. Parce qu’ici le noir est un monstre sanguinaire. 1915, The Birth of A Nation est considéré comme majeur dans l’histoire du cinéma américain dans ce qu’il a pu apporter en terme de technique et de montage cinématographique. Pourtant sa glorification du Klan aura permis sa renaissance. Son imagerie presque surnaturelle sera reprise encore plus tard, lors des tragiques événements de Charlottesville en été 2017. Les images ne meurent jamais réellement.

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The Birth of A Nation – D.W. Griffith ( 1915 )

BlackKklansman questionne cet héritage. Celui dans lequel les noirs meurent toujours en premier dans les films d’horreur. Celui dans lequel les noirs ont besoin d’un.e blanc.he pour être sauvé.es. Celui dans lequel les noirs sont des personnages secondaires plats. Ce sont des personnages d’esclaves, violents, de mamma, souvent anonymes et relégués au second plan. On ne sait rien de leur histoire sinon qu’ils sont des tokens, des prétextes à une égalité. La question de la représentation à l’écran n’est et ne sera jamais un « caprice », mais est une nécessité.

Le cinéma comme acte politique

Vouloir se persuader que le cinéma n’est qu’un pur divertissement, c’est ne pas réaliser l’immense pouvoir des images. Le cinéma, comme d’ailleurs n’importe quel œuvre culturelle et artistique, entre dans la catégorie du « soft power » : il renvoie une image de sa propre société, culture et politique. Les Etats-Unis sont une puissance mondiale, mais également une puissance cinématographique. Tout ce qui définit l’image de la nation américaine. Quand on dit Amérique, on pense aux déserts immenses du Colorado et aux banlieues chic et propres de Los Angeles ; aux grands héros de l’Ouest, aux grands héros militaires et super-héros qui nous sauvent de la fin du monde. On pense à une nation héroïque, en totale adéquation avec le Manifest Destiny selon lequel les Etats-Unis ont la mission sacrée de devoir protéger le reste du monde. En héros.

Croire également que la couleur de peau ou le genre d’un.e cinéaste n’influe pas sur son œuvre, c’est se tromper. Le cinéma américain est majoritairement écrit par des hommes blancs. Et cette vision se retranscrit dans la plupart des œuvres : ce n’est pas anodin si les Amérindiens sont présentés comme des animaux sauvages et sanguinaires dans The Stagecoach de John Ford. Ni une coïncidence si les noirs sont des monstres dans The Birth of A Nation. Ni même que la grande majorité des personnages soient blanc.he.s dans le cinéma hollywoodien. Il est donc normal, sain et nécessaire que le cinéma soit remis en question par des minorités raciales ou sexuelles. Pour en proposer une autre vision, mais surtout pour se le réapproprier. C’est avoir des personnages racisé.es, féminins ou LGBT peut-être plus pertinents, et surtout un cinéma qui leur permet d’affirmer leur identité. Et laisser une chance à ces films, qu’ils soient bons, ou mauvais.

Cinéma de divertissement, cinéma apolitique ?

Derrière la façade du divertissement se cache toujours une vision politique, plus ou moins subtile. Le cinéma de super-héros, que ce soit Marvel ou DC en déborde. Que ce soit avec le Batman V Superman de Zack Snyder, dont la scène d’ouverture fait écho aux 11-Septembre, qui questionne la politique migratoire et le traumatisme du terrorisme sur les terres américaines. Captain America est explicite et l’exemple type du bon héros américain. Mad Max Fury Road laisse la première place à une héroïne féminine forte et évoque la déification des femmes. La saga American Nightmare, et notamment son quatrième, Origines utilise sa propre catharsis horrifique pour se défouler des violences qui gangrènent les Etats-Unis : racisme, blackface, violence policière, violence sexuelle, Ku Klux Klan. Autant de sujets actuels que le film semble vouloir exorciser. La liste est interminable, tant chaque film contient en son sein une vision politique, des sujets qu’il aborde, à leur représentation. Le cinéma grand public fourmille de tout cela, sans forcément que l’on s’en rende compte.

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Batman V Superman – Zack Snyder ( 2016 )

BlackKklansman est un film politique comme tous les films, à la seule différence que son côté est parfaitement assumé. Par sa réappropriation de son identité culturelle et cinématographique et par ses dénonciations fortes. C’est une satire, drôle mais très amère, dont la brutalité finale surprend autant qu’elle effraie : les images d’une réalité aussi froide nous questionne sur notre propre rapport à l’image. La violence cinématographique à laquelle on ne réagit plus laisse place à une violence réelle insoutenable. Car ce n’est plus de la fiction. C’est un électrochoc nécessaire qui nous ramène sur terre, et qui prouve la nécessité absolue d’un tel film.

8 commentaires Ajoutez le vôtre

  1. lilylit dit :

    Franchement cette année j’ai trouvé que le palmarès cannois n’était pas très politique, justement. Enfin disons moins politiquement opportuniste que certaines années.

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  2. Ce qui est intéressant dans ce film, ce sont en effet les revendications de Spike Lee, mais, surtout, qu’elles ne donnent jamais lieu à un discours manichéen. C’est-à-dire qu’il met en avant les rapports de force défavorables aux populations Noires dans la société, mais qu’au-delà de ça, il condamne les extrémismes sous tous leurs formes. Le discours du film est d’ailleurs superbement (malgré l’atrocité des images) condensé dans les images d’émeutes diffusées en fin de film.
    Un film efficace et vraiment intéressant.

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    1. princecranoir dit :

      C’est tout de même terrible que l’on finisse par retenir surtout du film les images qui ne sont pas de Spike Lee.

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      1. C’est vrai. Le film de Spike Lee n’est pas exceptionnel, il n’y a pas de parti pris artistique particulier, puisqu’il se focalise surtout sur son discours. Fatalement, on a la sensation, juste, d’assister à un bon film avec un discours engagé, mais pas forcément un film qui nous marquera à vie.
        Le choix de mettre ces images à la fin est à double tranchant. Cela permet une sorte de « bouquet final » qui calme le spectateur, jusqu’ici embarqué dans une comédie satirique ne manquant certes pas de gravité, mais faisant preuve d’une certaine légèreté. Mais de l’autre, ce sont les dernières images que l’on imprime et qui nous font cogiter à la fin, comme si, dans une copie, un étudiant proposait une longue réflexion pour l’achever sur la longue citation d’un autre auteur.
        Pour moi le film n’est en tout cas pas raté, j’en ai un bon souvenir et je serai content de le revoir. Encore une fois, ce que j’apprécie, c’est que, bien que Spike Lee soit toujours en faveur de l’émancipation des populations afro-américaines, il parvienne à donner de la nuance pour, surtout, condamner l’escalade de violence entre un extrême suprémaciste et un extrême révolutionnaire.

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      2. princecranoir dit :

        Je lui trouve de bonnes idées mais une désinvolture assez désarmante quand il s’agit de faire parler le langage cinématographique plutôt que le discours de propagande. En cela, on peut dire qu’il nettement moins bon que Griffith. 😉
        En repensant à Belafonte dans le film, je me remémore « odds against tomorrow », pour le coup un excellent polar contenant un fort discours anti-raciste. Mais pas sûr que Lee le trouve à son goût vu qu’il était dirigé par un cinéaste la peau claire.
        Les images finales m’ont immédiatement ramenées à celles qu’Eastwood utilise à la fin d’ « American Sniper » qui pouvait apparaître comme un clou enfoncé dans la croix qui glorifiait son personnage. Je ne sais pas si Lee y a pensé, mais je pense qu’il serait satisfait de la réplique.

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  3. AMBROISIE dit :

    Je ne me suis pas encore penchée sur la sélection du festival de Cannes de cette année. Néanmoins j’ai adoré lire ton article qui explicite très très bien les choses. Oui les films, les livres, les œuvres d’arts en générale tout domaine confondu se placent dans un contexte historique, elles sont le témoin d’une époque et de ses problématiques. Mais rien n’a changé en réalité, les problèmes sont toujours les mêmes. Ils ont juste changé de forme.

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  4. princecranoir dit :

    Un film au discours politique assumé n’en fait pas pour autant un bon film. Ce sont à mes yeux deux critères de jugement bien distincts. Ceci dit, il y a quelque chose dans le propos de Lee sur le pouvoir des images qui interpelle, et en fait un objet filmique intéressant sur ce point. La référence dans le discours de Touré aux films de Tarzan est un exemple particulièrement éloquent. Je connaissais l’histoire mais transposée avec les films d’Indiens (je ne sais plus d’où je la tiens malheureusement), ce qui place le citoyen Américain, quel que soit sa couleur de peau, face à son statut communautaire. On voit bien que le melting pot n’est qu’une vaste blague depuis des siècles sur cette « Terre Promise » que chacun s’est empressé de revendiquer comme sienne. Les descendants d’esclaves réclament leur part, comme les Indiens celle qu’on leur a volé, comme d’autres communautés de confessions variées d’ailleurs (le point de vue juif dans le film de Lee est intéressant, pour ne pas dire problématique). On voit bien que rien n’est univoque sur le sujet, et sans doute moins tranché que ce que Lee tente de nous faire avaler.
    Citer John Ford dans ce contexte est d’ailleurs fort intéressant puisque, non content de passer pour un tueur d’Indiens dans « Stagecoach », il était aussi un des cavaliers à cagoule du film de Griffith. Mais Ford est aussi le réalisateur de « Cheyenne autumn », sans doute le plus vibrant plaidoyer pour la Nation Indienne, ainsi que de « Sergent Noir », film par trop méconnu pour la reconnaissance des soldats de couleur dans l’armée US. Quant à Griffith, on sait bien qu’après « Naissance d’une Nation » qui fut à l’époque un grand succès mais suscita aussi un tollé d’indignation, il tourna « Intolérance », hymne à la réconciliation d’un budget pharaonique dont l’échec précipita sa chute artistique. Bien fait, dira sans doute Spike Lee, peut-être même à raison. Mais cela montre que rien n’est aussi tranché.

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  5. namejastin dit :

    Car ce n’est plus de la fiction

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