L’Amant Double

Ce soir, je n’ai pas envie de prendre de distance. Ce soir, je dis je. Parce que c’est la spectatrice en moi qui a été touchée. Et je suis fatiguée. Cette après-midi, par ennui et par dépit, je suis au hasard allée voir L’Amant Double de François Ozon. Non, je n’ai rien vu de lui. Enfin si, peut-être une partie de Jeune et Jolie. Celui-là même où Ozon sous-entendait que les femmes fantasment secrètement à l’idée de la prostitution. Mais j’avais oublié. Aujourd’hui, j’y suis allée au hasard, parce que je voulais aussi être à Cannes après l’heure. Parce que j’ai relativement confiance quand je vois apparaître  » Compétition officielle  » en lettres d’or. Parce que si c’est à Cannes, c’est que c’est bien. C’est naïf, mais j’ai tendance à faire confiance, facilement peut-être.

Et je me suis trompée. J’aurais aimé tomber dans un ennui profond, celui qui nous endort sur notre siège et qui nous fait presque oublier ce qu’il se passe à l’écran. Mais je n’ai rien oublié, j’ai tout vu. Je ne suis généralement pas très emballée par le cinéma d’auteur français. C’est comme ça. Vous pensez que ça fait de moi une mauvaise cinéphile, qu’importe. Il m’ennuie un peu, parce que je le trouve souvent trop répétitif, trop pompeux, trop élitiste. Parce qu’il s’éloigne de mon idée du cinéma, et ce n’est pas grave, parce que d’autres l’aimeront sûrement.

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Alors comme à mon habitude, je m’attendais à un espèce de thriller vaguement érotique. C’est de ma faute, vous direz, j’aurais du me renseigner sur le film. Toute la presse soulignait le côté hitchcockien, l’érotisme glacée, la manipulation mentale. Pourquoi pas.

Chloé, une jeune femme fragile, tombe amoureuse de son psychothérapeute, Paul. Quelques mois plus tard, ils s’installent ensemble, mais elle découvre que son amant lui a caché une partie de son identité.

Parlons du film, pour ce qu’il est. Visuellement, c’est plutôt joli. De très belles symétries.  De belles demeures de luxes. Le film tente quelques approches vers un cinéma de genre, ce qui étonne dans un film dit d’auteur. C’est un peu trash, un peu gore parfois. Ca aurait pu être osé. Une espèce d’ambiance un peu malsaine s’installe. Le double, la vérité, le rêve viennent perdre le spectateur. Mais le film n’est jamais subtil. Les rires de la salle en témoignent. Le film devient risible là où il cherche à inquiéter. Les métaphores sont d’une lourdeur souvent pénibles. La chatte. Les jeux de miroirs. Antigone. Le film cherche à parler de conflits fraternels. Comment trouver sa place face à un autre qui nous ressemble ? Le film aurait pu être intéressant. On ne croit à aucun moment à cette histoire d’amour, qui semble sortir de nulle part. Les relations avec les personnages sont souvent confuses, et à force de vouloir être mystérieux, le film se perd et nous perd. C’est risible, incompréhensible, et ça vire rapidement vers le nanar.

Mais le nanar est un mauvais film sympathique. Ce qu’on pourrait croire au début. L’Amant Double est tout sauf sympathique, il est abject. Chloé est une proie, et la vengeance s’exerce sur son corps. Dans ce film, il est question de sexe. Les scènes sont tout sauf érotiques. Chloé est dépressive. D’abord habillée comme un «  » garçon manqué «  », cheveux courts et pull oversize, cachant sa féminité. Jusqu’à rencontrer le beau Paul, toujours magnifié. On comprend dès l’ouverture l’obsession un peu malsaine avec la sexualité féminine, avec un plan qui ne manquera pas de choquer la ménagère tout au plus. Qui se la joue Origine du Monde, en moins beau.

Et il suffit d’une scène pour que le film tourne dans l’obscénité. On a compris, Chloé est une jeune femme qui a vécu seule, et n’a jamais vraiment connu l’amour. Elle a besoin de quelqu’un qui la domine, de plus fort. Pourquoi pas, c’est un parti pris narratif. Et il y’a cette scène, qui file la nausée. Un viol. Chloé se fait toucher. C’est sa  » thérapie  » comme il l’appelle. Elle refuse. Elle dit non. Elle se débat. Il parvient à glisser sa main dans sa culotte.

Et elle prend du plaisir.

Non veut dire oui. C’est ce fantasme masculin que le film est en train de me montrer. Que le film est en train de banaliser. Après cette scène, Chloé porte une jupe. Elle est  » féminine ». C’est donc ça que le film est en train de me dire. Non seulement, le viol est presque sublimé. Mais la violence sexuelle permet d’assumer sa féminité. Et ça recommence. Encore et encore. Chloé est une victime consentante. Elle finit toujours pas aimer ça. Et elle en redemande.

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Ce n’est pas tant la représentation du viol au cinéma qui me pose problème, entendez moi bien. Des scènes de viol, j’en ai vu, beaucoup. C’est une des violences que je supporte le moins au cinéma, mais peu importe. Je ne suis pas d’avis que ce genre de scène doit être censuré, tout comme le torture porn et toute forme de violence. Orange Mécanique cumule les scènes de viol et est un de mes films préférés. Celle d’Under The Skin est purement métaphorique et effrayante. Je préfère l’horreur insoutenable de la scène d’Irreversible que celle de l’Amant Double. Pour la simple et bonne raison que toutes ces scènes nous font ressentir un profond malaise. Elles n’ont rien d’érotique. Leur violence est tellement forte, qu’elle dénonce et non banalise. L’Amant Double ne remet jamais en question le viol, et au contraire, le justifie. Faut forcer un peu, mais ça en vaut la peine. Les autres sont d’une violence souvent inouïes et nous laisse dans un sentiment de rejet. On rejette ce que l’on voit. Le regard de la caméra dénonce au lieu d’érotiser. Dans l’Amant Double, le regard est complaisant.

Ici, le viol est normal. Et l’écrire me donne la nausée.

J’ai eu envie d’hurler. De partir. Mais je me disais que j’étais folle, et que jamais un film cannois en compétition banaliserait le viol. Pas en 2017. Alors j’ai attendu la fin, dans l’espoir d’un retournement de situation. Qui ne vint jamais. Le film confond violences sexuelles, donc le viol, et le sexe brutal et consentant.

J’ai déjà vu cette problématique quelque part. Dans Cinquante nuances de Grey. Qui a fait polémique. Mais je n’entends rien sur le film d’Ozon. Pourtant on parle de la même chose. On croit que la féminité et la découverte de la sexualité s’effectuent à travers la brutalité masculine. Les deux sont fantasmées. Mais ils n’appartiennent pas aux mêmes univers. Cinquante nuances de Grey, c’est pour le public normal. Pas les intellectuels. Ceux qui cherchent dans le cinéma un simple divertissement. C’est pour le petit peuple, pas les vrais cinéphiles. Ozon, tout le monde ne va pas le voir. C’est un nom familier des cinéphiles. En plus sélectionné en compétition officielle. Ca lui donne de la crédibilité. Les thèmes sont similaires. Le traitement un poil différent. Mais on excuse Ozon, parce que c’est Ozon. Parce qu’il doit forcément y’avoir une grille de lecture autre, qui transcende la réalité. Parce que si ça se trouve, je suis trop bête pour comprendre, et c’est pour ça que j’écris toutes ces lignes, en colère. Que je n’ai pas les connaissances adéquates pour comprendre l’oeuvre.

Mais moi ce que j’ai vu me fait mal. Le cinéma est un langage politique. Quelle ironie quand hier encore je parlais de la puissance évocatrice de la représentation féminine au cinéma. Chaque mot a un sens. Ce film est le reflet d’une pensée qu’on croit morte. Si je ne me trompe pas, c’est ce qu’on appelle la culture du viol. Celle qui banalise, encore et toujours. Sans jamais remettre en question.

Alors j’ai voulu me consoler en pensant que je n’étais pas la seule à être troublée. Je me suis penchée du côté de la presse. Et j’ai eu mal, encore.Jamais elle ne remet en cause le côté problématique du film. Jamais choquée, elle parle d’un tableau de femme, d’un inconscient féminin. .  C’est faux. Ce portrait est laid. Un inconscient féminin, comme si toutes les femmes rêvaient secrètement à être violentées. Ce n’est pas moi ça. Je ne m’y retrouve pas. C’est tout ce que je hais. Je me sens trahie.

Je hais ce film. Je hais ce qu’il me montre. Ce qu’il croit montrer de moi. Ce qu’il croit comprendre de moi. J’ai l’impression qu’il parle de moi comme d’une créature inconnue. Qu’on cherche à sonder ma tête, et qu’on y ressort un ramassis d’idioties. Chloé est un personnage méprisé, surtout par son créateur. Ce n’est qu’une victime consentante. Elle ne se bat jamais. C’est une coquille vide. Elle n’est même jamais belle. Elle n’est rien.

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Cinéma, je suis épuisée. Je suis épuisée que tu cherches à paraître  » subversif « , et à choquer la ménagère avec tes scènes de sexe dégoûtantes. J’en ai assez que tu te caches derrière un mot pour tout excuser. Montre moi des viols si ça te chante, mais montre les comme ils le sont, des scènes tellement insoutenables qu’elles me hantent la nuit. Qu’elles viennent rappeler toute  l’immoralité, toute la cruauté de cet acte. Car moi aujourd’hui, j’ai eu la nausée, parce que film, tu es allé trop loin. Tu as cru que tu pouvais tout faire sous prétexte que tu fais du cinéma d’auteur. Que tu es intellectuel, pour les grands de ce monde. Mais en plus, tu es mauvais. Et dangereux. Je te hais, bien plus que tu ne me hais moi.

 

 

21 commentaires Ajoutez le vôtre

  1. seriesdefilms dit :

    Dès la bande annonce je sentais le film malsain , tu me confortes dans mon idée de ne pas le voir , c’est encore pire que ce que je pensais.

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    1. Coyote Crafty dit :

      Pareil. Pourtant, j’aime bien Ozon, mais je n’ai pas voulu voir Jeune & Jolie, et je n’ai pas envie de voir celui là.
      (Mais Frantz m’a bien plu)

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      1. Suzy Bishop dit :

        Javais eu envie de voir Frantz, mais je n’ai plus envie. Je culpabilise presque d’avoir donné de l’argent à ce film, je ne veux plus rien donner à Ozon

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      2. seriesdefilms dit :

        Jeune & Jolie ne me tentait pas du tout non plus…

        Aimé par 2 personnes

    2. Suzy Bishop dit :

      Il y a malsain volontaire, et ce malsain là. J’aime bien quand un film est malsain, mais quand il est aussi irrespectueux et dégoûtant

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      1. seriesdefilms dit :

        Oui le message véhiculé est affreux.

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      2. Suzy Bishop dit :

        Ça me rassure que tu dises ça, pendant un moment je me demandais si je n’avais pas tout exagéré mais non

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      3. seriesdefilms dit :

        Non tu n’as pas exagéré , tu n’es pas la seule à avoir pensé cela quand on voit des retours sur les réseaux sociaux 😉

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  2. 100tinelle dit :

    J’ai partagé ton commentaire, que je trouve pertinent, sincère et intelligent. Non, tu n’es pas la seule à le penser. Pierre Vavasseur en parle aussi, http://www.leparisien.fr/festival-de-cannes/cannes-2017-cher-francois-ozon-lettre-ouverte-au-realisateur-de-l-amant-double-26-05-2017-6984864.php

    Je n’irai pas voir ce film.

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    1. Suzy Bishop dit :

      Merci infiniment pour ce retour. En effet, c’est le seul article que j’ai pu lire traitant du sujet. Les commentaires en dessous me rendent toujours aussi triste

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  3. tinalakiller dit :

    ***APPLAUSE***
    Je ne peux être que d’accord. De A à Z.

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    1. Suzy Bishop dit :

      J’attends le tiens !!!!!

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  4. auroreinparis dit :

    J’ai bien aimé ce film, malgré sa tension parfois violente, brutale et malsaine. Mais je n’en ai pas ressenti ce que vous décrivez.
    Je n’ai juste pas trouvé la fin crédible le moins du monde.

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    1. Suzy Bishop dit :

      À vrai dire je ne suis pas sûre que ce soit une question de ressenti. La tension n’a justement pas à voir avec la représentation du viol. Je pense qu’un viol est un viol, ce n’est pas juste mon opinion

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      1. auroreinparis dit :

        On peut être choqué par cette main dans la culotte, et le fait qu’elle y prenne du plaisir ensuite. Cependant, elle me semble attirée par ce type dès la minute où elle pose les pieds chez lui, et il semble aussi que ce jeu « dégoûtant » est partagé par les deux. Notons qu’en plus tout se passe dans sa tête.
        Du coup, je n’ai pas été aussi bouleversée que vous par cette scène, sans remettre en question l’opinion qui se dégage dans cet article.
        C’est aussi ça le cinéma, permettre d’ouvrir le débat 🙂

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      2. Suzy Bishop dit :

        Mais peu importe son attirance, un viol est un viol si je ne m’abuse, non ? Que ce soit dans sa tête, à ce moment précis de la narration, le film ne le remet tout de même pas en cause, ainsi que tout le reste

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  5. Wahou, je suis vraiment troublée par ton article Suzy Bishop… J’ai vu L’Amant double hier et je l’ai vraiment apprécié, j’ai été prise par le côté thriller psychologique, le travail de la forme, les références aux grands réalisateurs… Et je n’ai pas du tout pensé comme toi. Alors j’ai pu passer complétement à côté et ne pas réagir, c’est sur que j’ai trouvé le film perturbant et choquant mais pour moi le fait que tout se passe dans la tête m’a empêché d’être aussi choquée que toi : j’ai vu ça comme une image, une exploration de l’inconscient et une façon de rendre le film angoissant. La chute m’a déçue mais j’ai aimé le reste du film et je suis très surprise de ton avis, je pense que les critiques que tu as lues dans les médias n’ont pas du le percevoir comme ça non plus, surtout qu’effectivement L’Amant double n’est pas un film grand public. Qu’en penses tu ?

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  6. Alice dit :

    Je n’ai pas aimé ce film ! D’ailleurs, je ne suis pas une grande fan du cinéma français. L’Amant double est trop lent à mon goût. Je n’ai pas été conquise. 😦

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  7. AMBROISIE dit :

    Je n’ai pas encore vu le film mais j’ai vu Jeune et Jolie que j’avais trouvé… assez plat et creux. J’étais jeune encore, à l’époque et je n’avais pas eu ma révélation féministe, maintenant, quand j’y repense, je me dis que le film n’était que creux, fait de belles images pour citer et se pavaner. L’amant double m’intéresse pour ce que tu dis (ça sera au moins un argument à gueuler quand je parlerais avec des hommes sur ce sujet). Je suis très curieuse, ça me répugne déjà de le voir mais je dois le voir juste pour constater que, oui, en effet, le viol et le fait d’être victime n’introduit pas de justice, qu’on en est toujours dans cette ère patriarcale où les femmes sont des créatures enivrantes de part leur corps et leur mystère -_-

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